Impact du COVID-19 sur le CIS et photos masquées de l’ISPR

Une rentrée scolaire problématique en Haïti

En 2019-2020, l’école en Haïti a expérimenté une année académique sans précédent, en termes de nombre de jours de travail et de couverture de programme pédagogique normal. Une année très spéciale, puisque même si le calendrier scolaire officiel du Ministère de l’Education Nationale (MENFP) prévoyait une rentrée le 2 septembre, seulement quelques rares établissements scolaires ont pu effectivement démarrer à cette date. Ces derniers n’ont cependant pu tenir qu’une semaine car, à partir du 9 septembre, les routes et les voies publiques étaient impraticables dans tout le pays, des manifestations sociopolitiques violentes empêchant la circulation et bloquant l’ensemble des activités à travers les dix départements.

Cette situation a duré jusqu’en décembre 2019 où une tentative timide de reprise des classes n’a pas pu aboutir pour différentes raisons (réticence et peur légitimes des parents, pas de disposition de réouverture prise par les établissements, considérations académiques et économiques dues à une année scolaire déjà compromise). Ce ne fut qu’en janvier 2020, finalement, que la vraie rentrée scolaire a été possible pour l’ensemble des institutions publiques et privées, préscolaires, primaires, secondaires, universitaires et professionnelles.

 

Une pandémie nouvelle pour l’humanité et pour Haïti: le Covid-19

Alors que l’épidémie de Covid-19 émerge en Chine dès décembre 2019 et se propage en peu de semaines dans le monde entier, elle n’épargne pas Haïti, et vient frapper ce pays dans un contexte socio-politique déjà difficile.

En Haïti, les deux premiers cas enregistrés ont été déclarés le 19 mars 2020. Le jour même, un décret présidentiel proclame l’état d’urgence sanitaire avec couvre-feu, confinement, fermeture des lieux de grands rassemblements (écoles, congrégations religieuses, marchés publics, espaces publics de loisirs, etc.) et arrêt des vols passagers internationaux dans les aéroports. Les mesures de distanciation sociale sont exigées, avec port de masque et lavage répété des mains.

La fermeture obligatoire des écoles dès le 19 mars 2020 a eu des conséquences désastreuses en Haïti, où la rentrée scolaire avait déjà été très tardive (janvier 2020) pour les raisons socio-économiques évoquées plus haut. Le confinement, initialement prévu de mars à mai, vient a été prolongé jusqu’à la fin juillet 2020, le pic de l’épidémie n’étant pas encore atteint dans le pays. Durant toute l’année scolaire, les classes n’ont pu se tenir que pendant dix semaines.

Au 13 juin 2020, le Ministère de la Santé Publique informe que 145 nouveaux cas de Covid-19 ont été confirmés en Haïti (pour 134 la veille), pour un total de 3,941 cas sur l’ensemble du territoire national (40.3% de femmes et 59.7% d’hommes) depuis le premier cas (19 mars 2020). Il y a eu 64 décès à cette date.

 

Le Covid-19 et le milieu scolaire en Haïti

L’impact du Covid-19 s’est fait déjà fortement sentir chez les élèves, les enseignants, le personnel de direction, les parents, et sur le système scolaire haïtien dans son entier. Chez les élèves, l’impact sera académique, pédagogique, psychosocial et éducationnel.

De septembre à décembre 2019, les élèves ont déjà passés 4 mois loin des salles de classe, puis 4 autres mois de mars à juin 2020. Il y a eu huit mois d’arrêt des classes au total pour seulement deux mois et demi de classe. Des mois loin des camarades, des maitresses et maitres, sans les rituels de va-et-vient maison-école-maison quotidiens et hebdomadaires. Les habitudes de vivre ensemble en camaraderie se perdent, la discipline du réveil du matin pour se préparer et être ponctuel en classe ne s’entretient plus, la présence à la maison devient fastidieuse et ennuyeuse pour les enfants après plusieurs mois de confinement. On apprend même que des petits de 4-6 ans pleurent pour réclamer leur école, leurs camarades et leurs instituteurs, d’autant qu’ils ne fréquentent plus non plus leurs congrégations religieuses en weekend.

 

Le Covid-19 et le CIS

L’impact académique désastreux est certain et évident pour les enfants du CIS qui sont issus des couches les plus défavorisées et vulnérables de la société du Cap-Haitien. Ces enfants habitent dans des quartiers désignés comme les ghettos de Petite Anse, périphérie de la ville du Cap-Haitien, constitués de marécages sur les littoraux marins, sans commodités sanitaires, sans infrastructure, ni route d’accès, ni électricité, ni eau courante. Véritable bidonville ou ‘’cité carton’’, comme on surnomme ces espaces, ces populations sont également exposées aux inondations en cas de cyclone, aux raz-de-marée et tsunami en cas de tremblement de terre. La scolarisation des enfants au CIS a pour objectif de leur offrir une chance de s’en sortir et d’éviter la délinquance juvénile. Le confinement de ces enfants et la fermeture des écoles ne peut qu’accentuer la difficulté de leurs conditions de vie déjà précaires.

Les parents, étant eux-mêmes généralement analphabètes, ne peuvent pas aider leurs enfants à travailler seuls à la maison. Ils n’ont pas les moyens non plus d’offrir de leur offrir des leçons particulières pour combler le manque à gagner causé par les mesures de confinement et de distanciation sociale. Nos élèves, retenus à la maison, n’ont pour seule activité que de vagabonder dans leur quartier, et les lacunes s’accumulent dans leur cursus scolaire. Le risque est qu’ils perdent également les notions apprises au cours de l’an passé et pendant les dix maigres semaines de travail de cette année.

Les parents, à leur tour, souffrent amèrement de voir leurs enfants obligés de rester à la maison et sans occupation scolaire. Ces derniers doivent aussi passer la majeure partie de leurs journées hors de la maison à la recherche du pain quotidien. Ils sont, pour la grande majorité sans emploi régulier, vivant d’expédient.

Les professeurs du CIS, de leur côté, se retrouvent brusquement sans activité, loin de leurs élèves, de leurs salles de classe, avec des conséquences économiques catastrophiques pour leur famille respective. Ce sont des périodes de stress sans équivoque et des mois d’incertitudes dont la durée est imprévisible (à la fin du mois de mai, un nouveau décret a prolongé le confinement jusqu’en juillet). L’année scolaire, déjà très limitée en termes de nombre de jours de travail, se trouve désormais compromise.

Le personnel directeur du CIS a mis en place des rencontres et contacts répétés avec le Conseiller pédagogique afin de partager les inquiétudes et les réflexions des enseignants et préparer des scenarios possibles pour éviter aux enfants de perdre toute l’année scolaire. Cependant, l’évolution lente et certaine de l’épidémie dans le pays, la rentrée scolaire tardive à cause du ‘blocage sociopolitique’’, les impondérables de toutes sortes auxquels font face nos élèves issus de cette catégorie socioéconomique, nous laissent à penser qu’il sera difficile d’éviter aux enfants de perdre toute l’année académique.

Contrairement aux autres enfants de la planète et des autres écoles du pays, disposant d’internet, de lap tops, de téléphones intelligents, et autres moyens technologiques, tous les mois passés à la maison sont des mois perdus pour nos enfants du CIS. Le Ministère de l’Education Nationale (MENFP) envisage plusieurs scenarios de rattrapage scolaire pour les élèves du pays et pour une solution pour les épreuves annuelles officielles. Toutefois, au CIS, aucune formule ne parait satisfaisante encore par rapport au temps restant pour l’année académique. A moins d’empiéter sur l’année suivante en utilisant les mois de septembre et d’octobre et d’entrer dans la prochaine année sans transition.

En conclusion, nous devinons les conditions dans lesquelles se trouvent nos enfants du CIS loin de leurs salles de classes, de leurs camarades et de leurs maitres et maitresses pendant tant de mois. Nous imaginons aussi les inquiétudes des parents obligés à vivre le confinement avec toutes ses conséquences économiques et toutes ses répercussions sur leurs progénitures. Nous voulons nous montrer proactifs face à la situation, mais nous sommes beaucoup trop limités par les conditions d’existence des familles dont le CIS aide à scolariser les enfants. Nous sommes aussi tenus d’offrir un minimum de jours de classe à nos élèves pour valider leur année académique. C’est particulièrement à ce niveau que se situe notre dilemme face aux conséquences et à l’impact du Covid 19 sur notre établissement scolaire. Attendons l’évolution de la pandémie en Haïti et les décisions officielles de la fin du mois de juillet pour savoir comment définir notre stratégie et comment nous situer par rapport aux dix semaines de classe déjà bouclées et par rapport au temps qui restera pour boucler un pourcentage satisfaisant des programmes scolaires afin de permettre une validation acceptable de l’année académique.

 

Dr Harold DURAND

Directeur-Fondateur

Centre d’Initiation Scolaire (CIS)